CHAPITRE XI

 

Un cri s'éleva, plus fort et plus étrange que ceux des oiseaux de nuit. Lorek et Enehidi contournaient en la longeant une forêt sombre, frémissante. La jeune Irienne retint Lorek en lui serrant le bras. Puis elle répondit à l'appel par un cri de tonalité voisine, mais plus court et répété deux fois. La mélopée des Nocturnes, entonnée par plusieurs voix, portée et déformée par le vent, vola tout autour de la forêt.

Lorek reconnut cette plainte nostalgique, d'une déchirante beauté qu’Enehidi avait lancée au moment de leur rencontre. Il ne put s'empêcher de trembler. Il se sentait tout à coup sans volonté, paralysé, comme sous l'effet du poison eloan. Il serra les dents, crispa la main sur la crosse de son lance-rayon.

Ils reprirent leur marche sur un geste d'Enehidi et ils atteignirent une partie de la forêt incendiée par les Eloans. Seuls quelques bouquets d'arbres avaient été épargnés. On n'entendait que le bruit mou du vent sur la lande brûlée. Enehidi expliqua que le but des assiégeants était de transformer les alentours de Nomenhir en désert, afin que les assiégés ne trouvent plus rien à manger. Les oiseaux avaient fui ou péri.

Nomenhir se trouvait maintenant au centre d'un territoire mort, dont le périmètre rejoignait les abords dévastés d'Edenla. Les Iriens ne manquaient pas d'eau dans leur village troglodyte, grâce à plusieurs sources et à une rivière souterraine. Par contre, leurs provisions de nourriture commençaient à se raréfier, comme Enehidi l'expliqua à Lorek. Et plus encore le fourrage pour les chevaux et le bétail. Les champignonnières produisaient abondamment, mais la plupart des gens étaient écœurés par un ordinaire de champignons à tous les repas. Quant aux chasses nocturnes, elles étaient de moins en moins bonnes et de plus en plus difficiles. Les chasseurs iriens devaient traverser la zone brûlée — et piégée — pour avoir une chance de trouver quelque gibier. La tactique de leurs ennemis était désormais éprouvée. Elle consistait à affamer les assiégés d'une façon lente mais sûre.

Lorek comprenait maintenant le pessimisme de Davichaman. Et le vieux sorcier ignorait que les marchands d'esclaves et leurs mercenaires avaient pris Edenla. La situation était encore pire qu'il ne le pensait.

 

Ils étaient maintenant arrivés au pied de la colline de Nomenhir, à l'opposé du camp eloan. Par cette nuit noire, les Iriens restaient maîtres du terrain; mais cela ne le leur permettait pas de desserrer l'étau, car leurs ennemis reprenaient le siège dès l'aube.

Une douzaine de guerrières, aux silhouettes épaissies par le cuir et les fourrures, surgirent de tous les côtés à la fois, entourant la meneuse du clan et son compagnon. Lorek résista au désir d'allumer sa lampe. Il lui fallait s'habituer à la nuit.

Les Iriennes se pressaient autour d'Enehidi, s'exclamant et bavardant joyeusement, dans une langue pétillante, aux sonorités difficilement saisissables. Elles venaient de retrouver leur chef. Elles faisaient peu de cas de Lorek qui s'écarta de quelques pas. Une forme souple bondit pour lui barrer la route. La pointe d'un javelot s’appuya sur sa poitrine. Il vit luire dans l'obscurité la lame d'un couteau. Il recula docilement) et renouvela l’expérience un peu plus tard, d'un autre côté, avec le même résultat.

Il revint vers Enehidi ou du moins se dirigea vers le groupe de guerrières au centre duquel, normalement, elle devait se trouver. Dans l’obscurité épaisse, Il la devina soudain en face de lui et reconnut son parfum. Elle prononça quelques mots dans sa langue il voulut l'appeler. « Ene... »

Il reçut un coup qui étouffa le cri sur ses lèvres. Une douleur fulgurante lui perça la tête. Un éclair passa devant ses yeux et Il tomba.

 

Deux Iriennes chantaient lentement devant le corps de Lorek Sam Lara, étendu sur l'herbe brûlée de la colline. Un homme le souleva. Deux autres Iriennes s'agenouillèrent près de lui. L'homme maintint Lorek assis. Une guerrière lui ouvrit la bouche, écarta ses dents avec un morceau d’os. Une autre versa sur sa langue, goutte à goutte, le contenu d’une poire au goulot long et étroit.

A dix pas, Enehidi et Nelehamé, sa seconde, observaient la scène.

— C'est un fugitif, dit la meneuse du clan. Je suppose que les siens l'ont chassé. Et il ment. L'élixir de fièvre le rendra docile et le fera parler. Davichaman l'interrogera... et j'écouterai...

— Quand la lune reste cachée dans la terre, la traîtrise est au cœur de l'homme, dit Nelehamé sur un ton sentencieux. Nous devons être prudentes. J'ai eu si peur pour toi !

— J'avais un petit peu d'élixir de fièvre, expliqua Enehidi. Je lui en ai fait boire quelques gouttes. Mais ça n'a pas été suffisant. Je crois qu’il est dangereux !

Nelehamé eut un rire aigu, pareil à un cri d'oiseau.

— Plus maintenant. Il ne sera plus jamais dangereux !

Il faut quand même lui enlever ses armes. S'il se réveillait...

— Oh, Il ne se réveillera pas de sitôt. Mais tu as raison : nous sommes en lune noire et notre déesse ne nous protège pas.

Les Iriennes délestèrent Lorek de deux lance-rayons d'un bigueyeur et du radiant pris au chasseur d’esclaves.

— Pourquoi avait-il toutes ces armes ? demanda Nelehamé.

Enehidi esquissa un geste vers le ciel, comme un salut inachevé à la déesse Ire. C'était à peu près l’équivalent d'un haussement d'épaules.

— Ce sont tous de grands enfants. Je crois qu'il est parti de chez lui en volant des armes... beaucoup d'armes pour se rassurer. Et il est d'autant plus dangereux qu'il ne sait pas très bien s'en servir!

— Tu espères qu'il dira la vérité quand il te réveillera, grâce à l’élixir de fièvre?

— Peut-être pas tout de suite. Mais on l'interrogera aussi longtemps qu'il faudra.

— Et après, qu'est-ce que tu comptes faire de lui?

— Tout dépendra de ce qu'il nous aura appris. Je pense que nous ferions bien de le rendre à son clan pour qu'il soit jugé et puni. Ils le cherchent sûrement, à cause des armes volées et peut-être d'autres choses. Ce serait un cadeau que nous ferions aux Paradisiens pour amorcer une alliance. Mais s'il n'a aucune valeur pour eux, nous pourrions le punir nous-mêmes ou le donner aux Eloans !

— Oh non, fit la seconde, pas aux Eloans !

— Pourquoi pas ? Je crois qu'il leur causerait les pires ennuis. Il est malin ! Mais nous lui avons donné une très forte dose d'élixir et il en restera peut-être complètement idiot. Cela arrive quelquefois.

— Nous devrions attendre le retour de la lune pour l'interroger. Ire nous aidera.

— Impossible d'attendre, décréta Enehidi. La déesse Ire nous aidera depuis sa retraite dans l'Obscur.

Guerrières et défenseurs emmenèrent Lorek endormi, tandis qu'un groupe de chasseurs rentrait d'une battue.

Le jour se levait.

 

Trois guerrières envoyées en reconnaissance vers le camp des Eloans revinrent au même moment. Deux d'entre elles chevauchaient la même monture. La troisième conduisait par la bride son cheval blessé. Les bêtes épuisées et les cavalières haletantes rencontrèrent Enehidi et sa seconde à la porte de Nomenhir. L'une des guerrières se précipita vers Enehidi en chantonnant quelques mesures de la mélopée irienne.

— Reprends ton souffle, Taïnhadé !

Taïnhadé se tint près d'une minute, immobile et silencieuse, devant la meneuse de clan. Puis elle raconta sèchement :

— Les Eloans ont reçu du renfort. Les hommes aux cheveux rouges sont plus de cinq au camp eloan. Peut-être dix... Ils ont des arbalètes géantes, des fusils à poudre et des cerfs-volants.

— Des cerfs-volants ? dit Enehidi. Mère Ire, pour quoi faire?

 

— Des cerfs-volants, fit Davichaman sur un ton pensif. Je crains qu'ils ne servent pour éclairer les environs du village la nuit prochaine ou une autre. Ils seraient donc décidés à nous attaquer la nuit. Ou tout au moins à nous empêcher de sortir pour chasser. Ce qui pourrait en effet écourter le siège.

« Les marchands d'esclaves ont dû trouver que les livraisons des Eloans étaient insuffisantes et ils ont décidé de prêter assistance à leurs fournisseurs. C'est logique : ça devait arriver. Et que faire maintenant ? »

Le sorcier avait mis les mains devant son visage, comme pour dissimuler ses yeux aveugles. Ou bien était-ce un réflexe très ancien de Nocturne effrayé par la seule pensée de la lumière. Ou bien... Enehidi esquissa le salut à la déesse.

— Nous continuerons de nous battre. Qu'y a-t-il de changé?

Davichaman écarta ses mains et leva la tête lentement.

— Je ne sais pas qui sont les hommes aux cheveux rouges. Mais je sais qu'ils ont des armes terribles. Plus terribles que les fusils à poudre et les arbalètes géantes. Ils ne s’en sont jamais servi à ma connaissance. Espérons qu'il n’y a rien de changé. En tout cas, ils n’ont pas peur de la déesse, eux, ni de la nuit... Et puisqu’ils ont trouvé une bonne source d'esclaves à leur convenance, ils ne sont pas près de renoncer. Ils vont nous assiéger nuit et jour. Et nous devrons...

« Il faut que je réfléchisse. Nos réserves sont au plus bas. Et je viens d'apprendre une autre mauvaise nouvelle : il y a une maladie inconnue dans les champignonnières. La production a déjà baissé d'un quart.

« Mais je crois que le Paradisien peut nous aider. Quel est son nom, déjà ? Lorek Sam... Peu importe son nom. Je ne l'ai sans doute pas connu. Bon, je ne suis pas sûr que c'était une bonne idée de lui faire avaler une pleine poire d'élixir de fièvre. Il risque d'en devenir idiot. Et j'aurais aimé qu'il ait toute sa tête pour lui poser des questions... »

— Ce qui est fait est fait ! dit Enehidi sur un ton boudeur.

— Un adage paradisien, nota le sorcier. Bon... Amenez-moi ce Lorek Sam je-ne-sais-quoi dès qu’il sera réveillé. Ou plutôt, amenez-le tout de suite : je m’occuperai moi-même de le réveiller et de le soigner.

Il sentit l’hésitation de la meneuse de clan. Il eut un sourire triste, presque suppliant, leva vers elle sa main plissée et tachée de brun.

— Enehidi, je sais ce qu'il t'en coûte. C'est ton prisonnier, je te l'accorde. Mais toi et moi devons penser au sort du village. Je n'ai aucune envie de te ravir ton autorité. Je suis vieux et fatigué, mais je suis le seul d'entre nous, je crois, à bien parler la prima langvo. Et je ne suis pas sûr que le Paradisien et toi vous soyez bien compris.

— C'est un fugitif. Un voleur d'armes... Peut-être un criminel. Et il ment !

— Les Paradisiens n'ont pas la même conception que nous de la vérité et du mensonge. Je pense même que le vol n'existe pas chez eux.

— C'est impossible ! Ou alors... nous ne pourrons jamais nous allier avec eux.

— Il faut que je voie cet homme au plus vite.

— Pour le soigner ?

— Oui.

— Je le fais amener ici. Mais je pense qu'il essaiera de te tromper.

— Peut-être. On verra s'il est assez malin. Enehidi consentit à sourire. Elle eut un battement de cils et les points dorés de ses iris se changèrent une seconde en étincelles joyeuses.

— Non, il n’est pas aussi malin que toi, Davichaman !

 

L’eau froide ruisselant sur sa tête et dans son cou réveilla Lorek. La pluie ? Non. Le jet d'une source qui s'étalait sur la muraille rocheuse contre laquelle il était couché et qui éclaboussait le sol tout autour de lui. Il respira une odeur forte et crue. Il ouvrit les yeux, mais il ne put rien distinguer, malgré la phosphorescence qui imprégnait les murs et le plafond. Il était seul dans une caverne humide, trempé jusqu’aux os. Mais il n'avait pas froid.

Prisonnier des Eloans... ou des Iriens? Il ne pouvait pas se rappeler ce qui était arrivé. Il essaya de bouger la main droite, puis la tête, les jambes, les reins. Il envoya dans tous ses muscles des ordres frénétiques et vains. Seules ses paupières et ses lèvres obéissaient à l'influx nerveux. Il gémit doucement. Il essaya d'appeler au secours. Il émit un léger grognement et avala une gorgée d'eau boueuse.

Il aurait voulu dormir. Dormir... L'eau jaillissant de la source qui avait détrempé ses vêtements et giflait sans arrêt son visage l'empêchait de sombrer dans un sommeil bienheureux. Il était bien. Il s'abandonna et son esprit vola vers les étoiles et son enfance. Il lui sembla entendre une voix aimée qui murmurait au fond de sa mémoire : « Tu voyageras dans l'espace et le temps. Tu connaîtras les étoiles... » Il répéta sans comprendre : « Je voyagerai dans l'espace... et le temps... et le temps ? »

Il lui sembla qu'une main brûlante se posait sur sa poitrine. Il reconnaissait la sensation déjà éprouvée alors qu'il gisait dans la forêt incendiée et qu'une flèche des Eloans distillait dans son corps le poison qui commençait à le paralyser. La chaleur se répandait. En même temps, l'angoisse habituelle, montée d'il ne savait quelles obscures profondeurs du passé, plantait ses griffes froides sur sa gorge, sur sa nuque, le long de sa colonne vertébrale.

Il prit conscience de son état, à mi-chemin de la veille et du sommeil. Il ne dormait pas et il n'était pas encore éveillé. Il percevait la réalité comme un rivage embrumé vers lequel il nageait éperdument... sans réussir à se rapprocher. Non, il restait sur place malgré ses efforts. Et il reculait même... Il se sentit tout à coup emporté en arrière. Il lança un cri de détresse. Il se retrouva flottant dans le néant. Il n'avait pas le droit de connaître la vérité tapie sur le rivage et dissimulée par la brume du temps. Il n'avait pas le droit... pas encore. Il tomba, tomba.

Et le sommeil, de nouveau, l'engloutit.

Il dormait toujours quand deux hommes, sous la surveillance d'Enehidi, le traînèrent dans la caverne du sorcier.

 

— Tu es Davichaman ? fit Lorek d'une voix pâteuse.

— Et toi Lorek Sam Lara ? Tu connais donc mon nom? Enehidi t'a donné ma lettre, n'est-ce pas?

— Où est-elle ?

— Enehidi ou la lettre ?

Lorek respira profondément comme s'il s'interrogeait, puis il essaya de se lever et retomba à genoux sur le tapis de fourrures.

— Enehidi !

Il porta la main à sa poitrine comme pour fouiller ses poches et il se rendit compte qu'il était nu. « La lettre... »

— Tes vêtements sèchent, dit le sorcier. On te les donnera dès que possible... Enehidi n'est pas très loin d'ici. Elle se fait beaucoup de souci pour ta santé.

Lorek chancela. Sa tête l'entraînait irrésistiblement en avant. Il dut appuyer les deux mains sur le sol pour ne pas s'écrouler.

— Qu'est-ce qui m'est arrivé ?

— Tu as été très malade.

— Malade?

— Mais tu vas mieux. Tu vas dormir encore. Mais j'aimerais savoir s'il y a du vrai dans ce que tu as raconté pendant ton accès de fièvre.

— Qu'est-ce... que... j'ai... raconté?

— Que les Eloans et leurs amis, les hommes aux cheveux rouges avaient envahi Paradis 5 et commencé à réduire les Paradisiens en esclavage !

Lorek redressa la tête et s'anima un peu.

— Mais c'est vrai ! Vous ne le saviez donc pas ?

— Tu sais que j'ai vécu longtemps à Edenla, Lorek Sam Lara. Je ne crois pas que les Eloans aient pu franchir le champ de force protecteur et vaincre les androïdes de défense.

Lorek, épuisé, se laissa glisser à terre en gémissant. Le sorcier s’approcha de lui, posa la main sur son épaule.

— Que réponds-tu à cela, Lorek Sam Lara ?

— ... plus de champ de force... androïdes de combat... tous les autres... plus qu’un tas de ferraille !

Il ferma les yeux et sa tête retomba sur le côté. Il cessa de bouger et, après un moment, sa respiration se régularisa.

 

— Depuis que nous sommes assiégés, nous ignorons tout de ce qui se passe aux alentours de Nomenhir, Enehidi. Avant de décider que Lorek Sam Lara a menti, il faudrait essayer de savoir ce qui se passe vraiment chez les Paradisiens.

— Lorek Sam Lara essaie de nous entraîner dans un piège ! répondit la meneuse de clan au sorcier. Il est encore plus dangereux que je le pensais !

— Peut-être, peut-être. Mais ce qu’il dit est possible. Nous devons savoir... Combien avons-nous de prisonniers eloans ?

— Cinq... non, quatre puisque le dernier capturé s’est laissé mourir.

— Je veux les interroger.

— Ils ne diront que des mensonges !

— Qu’on leur donne l’élixir de fièvre.

— Si l’élixir les rend stupides, il sera plus difficile de les échanger.

— Bon, laisse-moi réfléchir. Et prier la déesse Ire!

 

Quelques heures plus tard, Davichaman rappela Enehidi.

— J’ai envoyé deux hommes au Tertre des Corbeaux pour observer Paradis 5. En grimpant sur le pin le plus élevé, ils pourront voir...

— Des hommes ! fit Enehidi avec mépris.

— Ce ne sont pas des guerriers, convint le sorcier Mais ils ont de bons yeux !

— Pas au point de voir depuis le Tertre des Corbeaux les cheveux rouges des marchands d’esclaves à Edenla. Et encore moins les têtes brunes des Eloans !

— Non. Tu as raison. Ils n'ont pas d'assez bons yeux pour ça. Mais ils pourront me dire si le pilier d'énergie et le dôme sont toujours en place. En fait, ils n'auront même pas besoin de grimper sur un arbre. Depuis n'importe quel rocher du tertre, on doit distinguer le sommet du pilier et la partie supérieure du dôme.

Enehidi haussa les épaules.

— Et après ?

— De deux choses l'une, Enehidi. Ou le pilier et le dôme sont en place. Il sera prouvé que ton Paradisien a bien menti. Nous verrons ce que nous pouvons faire de lui. Ton idée de le rendre aux siens pour qu'ils... peu importe ce qu'ils feront de lui... est excellente. Ou le pilier est éteint et, par suite, le dôme disparu et... Dans ce cas, j'interrogerai les prisonniers. Et peut-être faudra-t-il envoyer une expédition à Edenla.

— Je n'y retournerai pas ! fit la meneuse de clan sur un ton décidé. Je ne crois pas que ce soit utile.

— Tu es allée très près... très près du champ de force. Et tu as dû apercevoir le pilier d'énergie... si toutefois il existe encore. Tu sais ce que c'est. Je te l'ai montré plus d'une fois, de loin... et même d'assez près. Dis-moi, Enehidi, est-ce que tu l'as vu ?

Enehidi garda le silence un moment, en émettant le tzan pour protéger sa méditation.

— Je n'aime pas que tu m'interroges comme si j'étais une accusée, sorcier! Je te répondrai que je n'ai pas souvent levé la tête quand j'étais à proximité du Paradis. Et je n'ai pas pensé à regarder le Pilier d'énergie. Mais je suppose qu'il était là où on a toujours vu... comme on l'a toujours vu !

— Tu le supposes ?

Enehidi répondit avec un geste de colère.

— Maintenant que j'y pense, je suis sûre de l’avoir vu !

Elle ajouta aussitôt :

— Cette nuit, nous profitons de la lune noire pour attaquer le camp eloan. Nous partons dans une heure, Taïnhadé et moi, avec cinquante guerrières. Si je ne reviens pas, Nelehamé me remplacera. Tu l'aideras à... à faire cette alliance avec les Paradisiens ?

— Tu sais que je désapprouve cette action. Mais je vais prier notre déesse pour toi, et tu reviendras.

— Je ne crois pas à la déesse, sorcier. Pas plus que toi ! Et je ne me laisserai pas prendre vivante.

— Je ne veux pas que tu meures, Enehidi. Mais je sais bien que je ne te retiendrai pas. Malgré ce que tu as dit, je vais prier pour toi. Je suis un vieil homme et je ne sais plus que prier !

La meneuse de clan se rapprocha du sorcier, tendit la main droite vers son visage, puis recula sans achever son geste,

— Davichaman, je ne sais pas... je ne sais pas si j'ai vraiment vu le pilier d'énergie du Paradis !